Comment être reconnu dans une succession ?

Publié le
8/7/2025

Un enfant non reconnu peut-il faire établir sa filiation et se présenter à la succession de son père présumé ?

Il arrive que, lors de l’ouverture d’une succession, surgisse l’existence possible d’un enfant non reconnu par le défunt. Dans ce cas, l’enfant peut-il établir juridiquement un lien de filiation avec le défunt pour se faire reconnaître comme héritier ? Quels sont les recours légaux à sa disposition, et quelles sont les chances d’aboutir à une reconnaissance et à une part dans la succession ?

Comment la loi établit la filiation ?

Pour pouvoir hériter d’une personne en qualité d’enfant, il faut qu’un lien de filiation soit juridiquement établi. Si le nom du père figure sur l’acte de naissance ou sur un acte de reconnaissance, alors la filiation est réputée établie.

👉 Article 310-3, alinéa 1 du Code civil

Par ailleurs, un enfant né ou conçu pendant le mariage est présumé être celui du mari, sauf exceptions légales. Cette présomption de paternité ne s’applique pas dans les cas suivants :

  • l’acte de naissance mentionne une autre personne comme père
  • l’enfant est né plus de 300 jours après une procédure de divorce ou de séparation de corps
  • l’enfant est né moins de 190 jours après le rejet définitif de la procédure ou une réconciliation entre les époux

👉 Article 312 du Code civil
👉 Article 313 duCode civil

Mais si l’enfant n’a pas été reconnu et n’est ni né ni conçu pendant un mariage, il devra établir sa filiation par l’un des trois recours prévus par le Code civil.

👉 Articles 310-1 et 310-3 du Code civil

Attention : si une autre filiation est déjà établie, par exemple si l’enfant a été reconnu par un autre homme, il faudra faire annuler la filiation existante avant que la nouvelle filiation puisse produire des effets, notamment en matière successorale.

👉 Article 320 du Code civil
👉 Cass. civ. 1re, 30nov. 2022, n° 21-14.726

Ces actions concernent aussi bien la filiation paternelle que maternelle.

2.1. La possession d’état constatée par acte de notoriété (appelée aussi l'acte de notoriété acquisitive)

La possession d’état permet de faire reconnaître la filiation d’un enfant envers un parent en s’appuyant sur la vie réelle et les comportements sociaux plutôt que sur un test biologique. Depuis la réforme, cette procédure se fait directement devant notaire.

Dans les faits, cette procédure reste peu utilisée. Les notaires sont souvent réticents à s’engager dans des situations sensibles, car leur responsabilité civile professionnelle peut être engagée, surtout si la succession est conflictuelle.

2.1.1. Qui peut faire la demande ?

La demande peut être présentée :

  • par les deux parents
  • par l’un des parents
  • ou par l’enfant lui-même

👉 Article 317 alinéa 1 du Code civil

2.1.2. Délai pour déposer la demande

La demande peut être faite jusqu’à 5 ans après le décès du père présumé. Il est donc possible de lancer la procédure après l’ouverture de la succession, ce qui en fait un outil particulièrement adapté à ces situations.

👉 Article 317 alinéa 3 du Code civil

Aucune condition d’âge n’est imposée à l’enfant.

2.1.3. Conditions de délivrance de l’acte de notoriété

Le notaire analyse la situation en recueillant au moins trois témoignages et des éléments de preuve (photos, correspondances, documents administratifs…). Il cherche à établir un faisceau d’indices montrant qu’un véritable lien familial existait entre l’enfant et le père présumé.

Les critères d’appréciation sont issus de la notion de possession d’état, qui doit être :

  • continue : les faits prouvant la filiation doivent être réguliers, même s’ils ne couvrent pas toute la période concernée
        👉 Cass. civ. 1re, 3 mars 1992, n° 90-15.313
        👉 Cass. civ. 1re, 6 mars 1996, n° 94-14.969
  • publique : la relation entre le père présumé et l’enfant ne doit pas avoir été dissimulée
  • paisible : la reconnaissance du lien ne doit pas avoir été imposée
  • non équivoque : aucun doute ne doit exister sur la nature des liens, et aucune filiation concurrente ne doit exister

👉 Article 311-1 du Code civil
👉 Article 311-2 duCode civil

Important : cette procédure n'autorise pas le recours à un test ADN. Le notaire ne peut pas ordonner une expertise biologique.

👉 Article 16-11 du Code civil

Si les preuves sont insuffisantes ou que la situation est trop ambigüe, le notaire peut refuser de délivrer l’acte de notoriété.

Comment contester la décision ?

Si le notaire accepte de délivrer l’acte de notoriété acquisitive, cette décision peut être contestée devant un juge.L’action doit être intentée dans un délai de 10 ans à compter de la délivrance de l’acte. Toute personne ayant un intérêt direct peut agir : le parent présumé, un enfant, un héritier, un conjoint, etc. 👉Code civil, art. 335

Il est alors possible d’apporter tout mode de preuve, y compris contradictoire
👉 Code civil, art. 310-3, al. 2

Le juge peut ordonner une expertise biologique. Cette dernière pourra être réalisée :

·      sur le parent présumé : s’il est encore en vie, l’expertise ne peut se faire qu’avec son consentement ;s’il est décédé, elle ne pourra être pratiquée que s’il y avait expressément consenti avant sa mort, ce qui est rare en pratique.

·      à défaut, sur un proche du parent présumé, comme un enfant ou un frère, à condition que celui-ci donne son consentement.

Ainsi, la personne à laquelle il est demandé de se soumettre à un test ADN peut refuser. Cependant, ce refus peut être interprété comme un aveu implicite de paternité s’il existe d’autres éléments à charge. 👉 Cass. civ. 1re, 26 juin 2013, n°12-12.831

Néanmoins, le juge peut aussi admettre un motif légitime de refus, comme par exemple l’absence d’indices ou le caractère purement financier de la démarche. Dans ce cas, le refus ne portera pas préjudice à la personne concernée.
👉 Cass. civ. 1re, 30 sept. 2009, n°08-18.398

En revanche, si le notaire refuse de délivrer l’acte, aucun recours n’est prévu contre ce refus. Le demandeur peut néanmoins saisir directement le juge en intentant une action en possession d’état judiciaire.

Quand la voie notariale échoue, reste la voie judiciaire !

L’action en possession d’état devant le juge est l’alternative judiciaire à l’acte de notoriété. Elle est souvent intentée lorsque la voie notariale a échoué, ou que le délai de 5 ans est expiré.

Qui peut intenter l’action ?

Toute personne ayant un intérêt peut agir : l’enfant, l’un de ses descendants, ou sa mère.
👉Code civil, art. 330

Dans quel délai ?

L’action doit être engagée au plus tard dans les 10 ans suivant le décès du parent présumé. Elle est donc possible même après le décès, au moment de l’ouverture de la succession.
👉Code civil, art. 330

Il n’y a pas d’âge minimum ou maximum pour l’enfant.

Dans quelles conditions ?

Le juge examine un faisceau d’indices sociologiques reposant sur la possession d’état (voir § 2.1.3.). Contrairement à l’action en recherche depaternité, le juge ne peut pas ordonner de test ADN dans cette procédure.
👉Cass. civ. 1re, 16 juin 2011, n°08-20.475
👉Code civil, art. 310-3, al. 2

Peut-on contester la décision ?

Quelle que soit la décision rendue, chacune des parties peut faire appel dans un délai de 1 mois. Le recours doit être déposé au greffe de la courd’appel, par l’intermédiaire d’un avocat, via une déclaration d’appel accompagnée du jugement contesté.
👉Code de procédure civile, art. 538
👉justice.fr – Faire appel d’un jugement civil ou pénal

Qu'est ce que l'action en filiation?

Cette action permet d’établir une filiation biologique. Elle est plus intrusive mais souvent utilisée lorsque les autres voies échouent ou sont inaccessibles.

Qui peut intenter l’action ?

·      Si l’enfant est mineur, seul un parent peut agir. À défaut, le tuteur légal peut la lancer.
👉Code civil, art. 328, al. 1 et 2

·      Si l’enfant est majeur, lui seul peut exercer l’action.👉Code civil, art. 327, al. 2

Dans quel délai ?

·      Pour un enfant mineur, aucun délai ne s’applique tant que le parent ou le tuteur agit en son nom.

·      Pour un majeur, l’action doit être exercée avant ses 28ans.
👉Code civil, art. 329

Remarque: en cas de circonstances exceptionnelles, les tribunaux peuvent admettre une dérogation au délai pour préserver le droit au respect de la vie privée et familiale.
👉Cass. civ. 1re, 15 fév. 2023, n°21-18.427

 

Dans quelles conditions ?

Pour établir le lien de filiation, l’enfant (ou son parent ou tuteur) peut utiliser tout mode de preuve.
👉 C. civ., art.310-3, al. 2

Le juge peut ordonner la réalisation d’une expertise biologique (test ADN) :

  • sur le parent présumé :
       
    • s’il est encore en vie, l’examen ne peut avoir lieu qu’avec son consentement ;
    •  
    • s’il est décédé, l’examen ne peut être réalisé que s’il y avait expressément consenti de son vivant, ce qui est rare en pratique.
  •  
  • à défaut, sur un proche du parent présumé (par exemple un enfant déjà reconnu du parent présumé), mais seulement avec son consentement.
        👉 [CA Paris, 6 nov. 1997, n°851230]

La personne sollicitée peut refuser de se soumettre à ce test. Toutefois, ce refus peut être interprété par le juge comme un aveu implicite de paternité, s’il est corroboré par d’autres indices.
👉 Cass. civ. 1re, 26juin 2013, n°12-12.831

Le juge peut aussi reconnaître un motif légitime de refus, notamment si la demande repose sur un intérêt uniquement financier et sans autres éléments de preuve.
👉 Cass. civ. 1re, 30sept. 2009, n°08-18.398

Peut-on contester la décision ?

Quelle que soit la décision du tribunal, chaque partie peut faire appel dans un délai d’un mois. Le recours nécessite de faire appel à un avocat, qui dépose au greffe de la cour d’appel une déclaration d’appel, accompagnée du jugement contesté.
👉 CPC, art. 538
👉 Justice.fr – Faire appel d’un jugement civil ou pénal

Quelles sont les conséquences du lien de filiation lors d'une transmission ?

Si la filiation est reconnue par la justice ou un notaire, l’enfant nouvellement reconnu sera traité comme tous les autres enfants dans le cadre de la succession.Peu importe le recours utilisé, les effets successoraux sont identiques.

L’établissement dece lien aura un impact sur la réserve héréditaire. L’enfant bénéficie de plein droit de sa part réservataire, ce qui réduit d’autant la quotité disponible du défunt. Cette réserve est intangible, sauf s’il existe au moins trois enfants, auquel cas la quotité disponible reste fixée à 1/4.

Les donations antérieures peuvent être affectées :

  • Si des donations ont été faites en avancement de part successorale, elles doivent être rapportées à la succession, et recalculées pour inclure l’enfant nouvellement reconnu. Cela garantit une égalité entre les héritiers.
  • Les donations-partages déjà réalisées deviennent des donations ordinaires si elles n’incluent pas l’enfant nouvellement reconnu. Dès lors, elles ne bénéficient  plus du gel des valeurs, ce qui signifie qu’elles seront réévaluées au jour du décès pour le calcul de la réserve héréditaire.

En présence d’un conjoint survivant, les conséquences diffèrent selon les dispositions prises parle défunt

  • En l’absence de donation au dernier vivant ou de testament :
       
    • si le défunt avait déjà un enfant d’une précédente union, les droits du conjoint survivant ne  changent pas : il conserve 1/4 en pleine propriété.
    •  
    • si le défunt n’avait pas d’enfant ou uniquement un ou plusieurs enfants communs avec le conjoint survivant, la reconnaissance d’un enfant extérieur au couple réduit les droits du conjoint à 1/4 en pleine propriété uniquement, alors qu’il pouvait auparavant opter pour l’usufruit total.
  •  
  • Si le défunt avait consenti une donation au dernier vivant, la survenance du nouvel enfant réduit la part que le conjoint peut recevoir en pleine propriété, car la quotité disponible ordinaire est affectée par la présence de cet héritier supplémentaire.

 

📚 Lexique

Filiation: lien juridique qui unit un parent et un enfant, ouvrant des droits et des devoirs (succession, autorité parentale, etc.)

Filiation établie : filiation reconnue officiellement, soit par un acte de naissance, de reconnaissance, soit par un jugement.

Acte de notoriété : acte délivré par un notaire constatant des faits notoires, comme la possession d’état.

Possession d’état : situation de fait dans laquelle un enfant est traité comme un enfant par un adulte (vie commune, éducation, nom, reconnaissance sociale),créant un lien assimilé à une filiation.

Filiation concurrente : situation où l’enfant a déjà une filiation établie avec une autre personne (par exemple un autre père légal).

Expertise biologique (ADN) : test qui permet de vérifier la paternité ou la maternité d’un individu ; non admis dans le cadre de la possession d’état.

Faisceau d’indices : méthode utilisée par le juge pour apprécier une situation à partir d’un ensemble de faits concordants.

Clause d’indexation/ clause de complément de prix : terme non utilisé ici, mais essentiel dans les successions d’entreprise.

Déclaration d’appel : procédure permettant de contester une décision de justice devant une cour d’appel.

Réserve héréditaire : Part minimale du patrimoine que la loi garantit obligatoirement à certains héritiers(descendants notamment).

Quotité disponible : Portion du patrimoine dont une personne peut disposer librement, par donation ou testament.

Donation-partage : Donation faite de son vivant à plusieurs héritiers, permettant de répartir de manière anticipée son patrimoine.

Donation ordinaire : Donation faite à un héritier ou tiers, sans effet de partage successoral.

Testament : Acte par lequel une personne organise la répartition de son patrimoine après son décès.

Déclaration d’appel : Acte procédural permettant de contester une décision de justice devant une cour d’appel.

 

 

 

⚖️ Références légales

Code civil, article 310-1 – Actions relatives à la filiation

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006426276

Code civil, article 310-3 – Établissement de la filiation

Code civil, article 312 – Présomption de paternité

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006426291

Code civil, article 313 – Exceptions à la présomption

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006426292

Code civil, article 320 – Principe de l’unicité de filiation

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006426299

Code civil, article 317 – Possession d’état par acte de notoriété

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045490559

Code civil, article 311-1 – Définition de la possession d’état

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006426286

Code civil, article 311-2 – Conditions de la possession d’état

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006426287

Code civil, article 16-11 – Expertise biologique (test ADN)

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006419014

Cass. civ. 1re, 3 mars 1992, n° 90-15.313 – Possession d’état continue

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007028797

Cass. civ. 1re, 6 mars 1996, n° 94-14.969 – Appréciation de la stabilité des faits

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007019757

Cass. civ. 1re, 30 nov. 2022, n° 21-14.726 – Annulation de filiation préexistante

ttps://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000046642594

Notice Service Public : établissement de la filiation par possession d’état

CA Paris, 6novembre 1997, n°851230
(Décision non disponible sur Légifrance, généralement consultable via bases privées ou revues juridiques)

Cass. civ. 1re, 26juin 2013, n°12-12.831
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000027657967

Cass. civ. 1re, 30septembre 2009, n°08-18.398
https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000021125961

Code de procédure civile, article 538
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006387079

Service Public – Faire appel d’un jugement civil ou pénal

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